Mai 2024 : « Le Conte des Contes » aux Amandiers enchante la classe d’hypokhâgne.

Affiche du spectacle réalisée par l’étudiante Olympe Cocurrulo pour « Elle était une fois, Le conte des contes ».

 

« Velasquez ! Tranquillise-toi ! Petite bête ! » Cette réplique, ceux qui ont assisté à la représentation du Conte des contes au théâtre des Amandiers la connaissent. Le 29 mai 2024, notre classe d’hypokhâgne a vu cette mise en scène d’Omar Porras avec sa compagnie le Teatro Malandro. Cette pièce fut la dernière d’une longue série de sorties au théâtre organisées par notre professeur Sarah Boudant, grâce à laquelle nous avons eu la chance de découvrir des œuvres toutes différentes les unes des autres, afin de bâtir notre culture théâtrale, et de comprendre comment le genre dramatique se traduisait sur la scène, qui est le territoire en propre du théâtre. Ce dernier spectacle portait les fruits des efforts de toute une année de préparation littéraire ; quoi de mieux pour finir en beauté que d’être à nouveau surpris dans nos attentes. Nous vîmes dans cette création la confluence de tous les styles que nous avions étudiés. Je dois dire, au nom de la classe, que cette dernière sortie nous a paru la plus originale, la plus inédite de notre année au théâtre.

Inspiré de l’œuvre de Giambattista Basile, Le Pentameron, ou Conte des contes reprend comme son nom l’indique, l’histoire de plusieurs contes pour les enchâsser dans un seul récit. Outre ce principe de récits emboîtés, déjà assez dynamique en soi, la salle entière battait au tempo du cabaret. Costumes hollywoodiens, strass et paillettes, accessoires loufoques, jeu grandiose d’acteurs mis face à des personnages burlesques : rien n’a été épargné pour animer le récit. La salle du théâtre des Amandiers, conçue comme une caisse de résonance pour des représentations résolument modernes, semblait ici à l’échelle du spectateur. La bande son de la pièce, réalisée par Christophe Fossemalle, formait un alliage de techniques et de styles musicaux éclectiques, véritable forge d’un théâtre bien aiguisé, qui a fait mouche. Seulement, cette réunion d’éléments théâtraux ne servait pas uniquement le rire, qui virait aux larmes à la vitesse d’un lever de rideau.

Le théâtre sert la vie car il existe dans un temps en présence, au présent. La réactualisation des contes devait donc être pensée au présent de l’écriture, du jeu, des éclats de nos réactions. Les scènes qui se déroulaient devant nous ressuscitaient les textes de notre enfance, et leur donnaient tantôt le ton d’une comédie hors du temps, tantôt la noirceur de la réalité. La pièce interrogeait la nature du conte et sa vocation profonde. Est-il sensé nous faire rire, nous faire pleurer, ou nous montrer une vérité à laquelle nous sommes incapables de faire face, à moins de nous brûler la cervelle ? Il me semble que le brio de la pièce tenait justement au fait que nous ne pouvons le savoir, car le théâtre reste équivoque. Il ne pouvait y avoir autant de réponses qu’autant qu’il y avait de spectateurs dans la salle.

Alors que les comédiens quittaient la scène, je me souviens être resté estomaqué, ne sachant que comprendre, que penser face à la richesse de cette mise en scène dont j’avais été témoin. J’étais pris sous une opulence de réponses et de questions. Cette opulence était équivoque, oui, presque indécise, complice afin de nous faire réfléchir un peu trop loin, et de nous replonger dans des scènes encore ancrées dans notre esprit. Cherchant à nous remémorer la pièce, nous la revoyons comme une cascade qui ruisselle à la lumière des projecteurs, les remous de la salle face aux vagues de la scène se heurtant aux rives des gradins. Nous n’avons plus l’impression de surprendre les personnages affairés à vivre, mais de vivre avec les personnages. Voilà un spectacle qui fait chavirer et met à la renverse son spectateur ! Il est comme une sorte de pirate qui vous assène un coup de matraque en cherchant son butin dans une course infinie – face à vous, restés cloués à votre siège. Le théâtre soigne, disait Kamel Daoud. Le théâtre, ce pirate … aurait pu avoir comme butin un miroir dans lequel il se voit, et contemple son ridicule, sa tragédie … À moins qu’il ne se fasse lui-même miroir … Ah Maudit Théâtre ! Tu ne saurais garder les pieds sur terre, comme nous. Tu préfères voguer au gré des flots du texte, sur la barque de ta scène, sous le soleil de ceux qui t’incarnent. Tu vis en tout cela, et nous embarques avec toi. Pourtant, tu sembles si loin de nous. Quelque chose ne colle pas. Continues-tu à vouloir nous montrer ce que nous désirons ? Ou devons-nous te suivre sur les mers inexplorées de notre esprit, au-delà du temps et de l’espace ? Tu vis et meurs à chaque ombre de perruque, à chaque silence entre deux répliques. Tu sais, du haut des planches, nous rendre plus lucides ! Alors, depuis le public, qui fut notre territoire le temps de la pièce, je tiens à saluer l’ensemble de la troupe qui a su conjuguer la variété de ses talents : chant, danse, jeu, costumes, synchronisation, maquillage et transformation, tant de maîtrise fait honneur au théâtre. Je tiens également à saluer la prestation de Philippe Gouin, le superbe docteur Basilio ; l’acteur a donné naissance à un personnage au carrefour de la littérature napolitaine traditionnelle, du théâtre de guignol et de la modernité du music-hall. C’est justement ce compromis que j’applaudis, car le dialecte napolitain originel, presque incantatoire, est traduit en une mise en scène prodigieuse. Ce “music-hall” brille sans pour autant tomber dans une forme de didactisme, “de théâtre à message” et ouvre une pluralité de perspectives. Il redonne toute sa vitalité à un texte loin de nous.

Ainsi, nous sommes sortis de la salle, abasourdis, avec le sentiment d’être sous le patronage d’Ariane Mnouchkine, elle-même venue assister à la représentation, Ariane Mnouchkine dont Omar Porras avait découvert le travail plusieurs décennies plus tôt. Nous rencontrions une figure emblématique de notre année, comme une reconnaissance, une présence, le cadeau, le présent que nous a offert madame Boudant, que nous remercions autant que les comédiens, le metteur en scène, et le théâtre des Amandiers, pour cette année passionnante menée ensemble.

Sacha Baudin-Doukhan, étudiant en hypokhâgne

Affiche du spectacle réalisée par Stan Boulahia et Pierre Colmont pour « Il était une fois … »