Octobre 2024 au théâtre en prépa : Denali

Le théâtre est, selon le dramaturge Ionesco,“un coup de matraque”. Il rassemble mais aussi secoue ses spectateurs, les ébranle dans leurs convictions et dans leurs manières de voir le monde. Il n’attend pas que le spectateur soit prêt, le spectacle se déroule sous les yeux de ce dernier, et il est forcé d’encaisser. Ce n’est qu’une fois que le “coup” a été administré et assimilé, qu’il perçoit les choses d’une autre manière, qu’il réfléchit à ce qu’il a vu, qu’il ouvre les yeux sur le monde. La pièce Denali peut être décrite comme cela : une pièce qui secoue, qui choque et qui pousse son spectateur à réfléchir.

La pièce part d’un fait réel : le meurtre de Cynthia Hoffman, une adolescente de 18 ans, à Anchorage en Alaska. Elle est retrouvée ligotée et bâillonnée dans une rivière, morte d’une balle dans la nuque. Les coupables sont vite identifiés : Denali Bremher, sa meilleure amie, et Kaiden McIntosh, respectivement âgés de 18 et 16 ans. Ils “s’amusaient et ça a mal tourné”, voilà ce qu’affirment les deux accusés. Pourtant l’enquête révèle très vite que quelque chose cloche et qu’il faut aller chercher plus loin.

Denali est une pièce perturbante qui ne laisse personne de marbre. Le temps passe sous le signe du macabre, par les interrogatoires autant que par le souvenir des actions. Nicolas Le Bricquir, le metteur en scène, cherche dans sa pièce à recréer un effet de série policière comme celles disponibles sur n’importe quelle plateforme notamment Netflix. L’enquête est divisée en trois épisodes, chacun encadré par un générique de début et de fin, et précédé d’un récapitulatif de l’épisode précédent, mimé en direct par les comédiens. L’attention du spectateur est amenée, à certains moments de la pièce, sur Louise Guillaume qui compose directement sur scène les morceaux qui accompagnent les personnages et l’action à chaque instant. Elle intervient même pour passer les génériques des deux derniers épisodes et les récapitulatifs en y ajoutant un trait d’humour.

L’esthétique de série policière n’a pas rebuté les étudiants présents dans la salle ni notre professeur, bien au contraire. Un petit questionnaire a permis de révéler que selon eux, l’aspect “série-télé” était l’un des grands points forts de la mise en scène. Il permettait de “relancer l’intérêt du spectateur”, de “casser l’idée de vétusté que peut avoir le théâtre” et, d’une certaine façon, de “ prendre du recul face à l’horreur des faits énoncés”.

Denali, enfin, est l’histoire d’une véritable enquête, Nicolas Le Bricquir a effectué un grand travail de recherches afin de monter sa pièce. Les pages et les comptes sur les réseaux sociaux des différents protagonistes de l’affaire l’ont beaucoup aidé. Il a comme plongé dans leur intimité pour en retirer le résultat le plus vraisemblable et le plus proche de la vérité. Selon lui, l’expérience était dérangeante mais nécessaire.

Chaque spectateur s’interroge en sortant. Où est le bien ? Ou est le mal ? Certains ressentent une vive compassion, leurs convictions sont fortement ébranlées, pour d’autres, Denali est coupable et révulse. Les mots des étudiants et de notre professeurs recueillis pour qualifier la pièce sont : cassage, pesant, sueur froide et vérité. Chacun a eu son mot à dire, et cela grâce à l’intrigue de la pièce, un autre point particulièrement marquant. Le développement progressif du meurtre et toutes les affaires sous-jacentes qu’il entraîne, happe le spectateur. Comme dans un thriller, on ne découvre toutes l’étendue de l’horreur qu’à la fin et c’est ce qui marque le plus.

Le jeu des acteurs a évidemment beaucoup contribué à l’effet qu’a pu avoir la pièce. Chacun nous a fait frissonner, parfois peut-être rire, mais surtout chacun a fait la démonstration d’un jeu qui nous a époustouflé et qui nous a fait vivre le spectacle dans toutes ses dimensions.
Lucie Brunet (Denali), Caroline Fouilhoux (Kate), Lou Guyot (Cynthia), Julie Tedesco (Kayden) ont accepté de partager leur ressenti à la fin de la pièce. Denali les a marqués, plusieurs d’entre eux trouvent que c’est une pièce lourde à porter. Ce n’est pourtant pas ce qui les empêche chacun d’avoir chacun à sa manière le recul nécessaire pour réfléchir à ce qu’elle signifie. “Denali est un monstre”, annonce la comédienne Lucie Brunet qui interprète ce rôle. Elle ajoute cependant que “c’est un monstre que la société a créé avant de le décrier”. L’acte de Denali n’était pas excusable, mais à quel point son environnement l’a-t-il poussée vers cet acte ?

A quel point un être humain est-il défini par son environnement, par ses connaissances, par son éducation ?
Le théâtre ne nous apporte pas véritablement de réponse mais nous amène à essayer de la chercher par nous-mêmes, ce qui fait l’un de ses traits les plus beaux.

Nous remercions les comédiens pour l’entretien qu’ils nous ont accordé, mais aussi madame Sarah Boudant-Desmariaux sans qui ce coup de matraque n’aurait pas été permis.

Coline MOREAU, élève de khâgne en spécialité lettres modernes