
Condamnées
Trois mois. Si dans la bande dessinée de Goscinny et d’Uderzo, Astérix et Cléopâtre, c’est l’architecte Numérobis qui doit achever un palais en trois mois, pour les Premières et les Terminales de l’option théâtre du lycée Jeanne d’Albret il s’agissait de monter un tout autre type d’édifice : une pièce sur le thème des sorcières. Et ils l’ont fait ! Avec l’aide d’Heidi-Eva Clavier, de Catherine Boucher, d’Emilie Daugas et d’un spectateur, la pièce a été entièrement écrite et mise en scène pour sa représentation le 7 mai 2025 dans la salle Jacques Tati de Saint-Germain-en-Laye.
Compassion, peur, rejet et fascination sont autant de mots qui peuvent aussi bien qualifier les sorcières que la pièce Condamnées.
Sur les planches de la scène et sous la plume attentive du greffier, se déroule le jugement d’un groupe de prétendues sorcières à Astaford, au dix-septième siècle. La ville connaît des intempéries et des morts mystérieuses depuis un certain temps et qui d’autre que les sorcières pour en être la cause ? Une chasse est alors organisée. Tout le monde accuse tout le monde, et finalement un groupe de villageoises est désigné pour comparaître devant la justice. Chaque scène déclenche une réaction distincte, tantôt le rire franc d’un comique de situation, tantôt celui plus sec et désenchanté du malaise. À travers ces réactions se dessine l’attente des spectateurs. Comment se terminera le procès ? Comment les liens entre les différents personnages influenceront-ils leur destin à tous ? Face à tout cela, le spectateur ne peut qu’attendre la suite. D’une certaine manière, il subit les scènes qui se déroulent devant ses yeux.
La pièce a été écrite et mise en scène suite à des recherches approfondies des élèves sur le sujet des sorcières et des procès de sorcellerie. Elle a donné le plus justement possible la parole à celles et ceux (puisque des sorciers aussi étaient inculpés) qui ne l’ont pas eue lors de leur procès. Et c’est également cela le théâtre : donner une voix à ceux qui n’ont jamais pu se faire entendre, soit parce qu’ils étaient forcés au silence, soit parce que toute trace de leurs voix a disparu. Tout ce que le greffier écrivait lors des jugements brûlait avec les sorcières.
Condamnées a dépassé les limites du texte seul. Sidonie Chappey qui jouait l’épouse du seigneur détenteur des terres dans la pièce a également montré son talent de pianiste : elle a animé les scènes et leur a ajouté une ambiance et une profondeur particulière. Ruben Goncalves et Lisa Bourdier ont également donné de leur voix pour nous transporter dans notre passé cruel et sans pitié où la fragilité des sentiments est repoussée et écrasée. Ce voyage nous amène également à réfléchir sur notre présent : à quel point ces paroles sont-elles encore vraies de nos jours ? La dernière chanson a été interprétée par tous les comédiens et a offert au spectateur un bouquet final majestueux.
Condamnées est une pièce qui maintient en haleine.
Une pièce qui montre une vérité crue mais réelle.
Une pièce qui, en dévoilant les faits, dessine le portrait d’une condition humaine extrêmement fragile mais précieuse par cette fragilité.
Je remercie toutes les comédiennes et tous les comédiens, et salue la performance de chacune et de chacun dans cette pièce réalisée en un temps records et qui m’a happée tout en me faisant prendre conscience de l’importance de témoigner, de l’importance d’une mémoire de tous.
Coline Moreau, étudiante en khâgne du lycée Jeanne d’Albret