Les étudiants de prépa scientifiques en sortie à la Seine Musicale : La Haine de Mathieu Kassovitz, le 18 décembre 2024

Au soir du 18 décembre 2024, les classes préparatoires scientifiques du lycée Jeanne d’Albret (78) ont eu la chance d’assister à la comédie musicale La Haine, jusqu’ici rien n’a changé, mise en scène par Mathieu Kassovitz et adaptée du film La Haine de 1995 dont il fut le réalisateur. Le spectacle s’est déroulé à la Seine Musicale à Boulogne ; cette activité exceptionnelle ainsi que l’organisation, le trajet et les souvenirs auront offert aux élèves et professeurs accompagnants une occasion de partager une belle expérience et de tisser des liens.

La Haine raconte l’histoire de trois jeunes adolescents banlieusards en débâcle avec la police suite à une bavure policière, hospitalisant un jeune garçon de la cité dans laquelle ils vivent. On suit donc ces trois personnages bien différents : Vinz, d’abord incarné par Vincent Cassel dans le film, puis par Alexander Ferrario dans la pièce, qui se distingue par son agressivité, son aversion pour la police et son impulsivité ; Saïd, jadis interprété par Saïd Taghmaoui, et aujourd’hui par Samy Belkessa, qui se perd entre les opinions diverses de son entourage : bien que suivant Vinz dans sa lutte imprudente contre la police, il se laisse parfois raisonner et tente de calmer ce dernier. Et enfin Hubert, d’abord joué par Hubert Koundé, puis par Alivor : calme et réfléchi, il prend parfois ses distances avec les colères de Vinz et opte pour l’idée de passer inaperçu pendant ces temps difficiles, comprenant le fonctionnement du cercle de la haine et tentant de ne pas y tomber.

Le décor repose sur un principe simple et minimaliste sur la plupart des scènes : une dalle ronde équipée de tapis roulants pour reproduire les déambulations des personnages dans la rue d’une part mais aussi pour des bienfaits de mise en scène lors des chansons, pour faire tourner des personnages autour d’un autre, ou bien pour en mettre un autre au devant de la scène, etc.. Le reste du décor est assuré par un écran géant au fond de la scène diffusant la plupart du temps des images des lieux et parfois des vidéos rapprochées des personnages. Des blocs et autres accessoires sont utilisés pour délimiter une pièce ou un espace différent.

La mise en scène de la pièce est dès le début explosive : une musique puissante accompagne des images à effet stroboscopique dès le « générique ». La pièce dure environ 1h30 et profite de la présence d’une dizaine de chansons interprétées par une demi-douzaine d’artistes, dont les trois principaux, et sont toutes dansées. L’histoire portant sur la colère grandissant dans le cœur des personnages, notamment de Vinz, les chansons sont du genre rap pour la plupart, chantées en appuyant beaucoup sur les syllabes pour faire ressentir ce sentiment. Les basses fortes rythment les mouvements effrénés des danseurs. Dans la première chanson d’Hubert (Alivor), qui se passe dans la salle de boxe, les basses semblent être remplacées par les coups des danseurs déguisés en boxeurs tapant dans des sacs de frappe ; la scène est plongée dans le noir hormis quelques cercles faiblement lumineux sur les artistes. Cette chanson introduit finement le personnage d’Hubert, permettant à tout spectateur de cerner sa lutte intérieure entre sa colère et sa raison.

Le spectacle est bien sûr remis au goût du jour, s’adaptant aux nouvelles technologies : par exemple, la fameuse scène du miroir est refaite avec un téléphone grâce auquel Vinz se filme (la vidéo est donc projetée sur l’écran géant).

Il bénéficie aussi d’un ajout de scène : en effet dans le film il n’était pas mentionné que Vinz soit en couple : pourtant une scène entière est dédiée à une dispute entre ce dernier et sa bien-aimée lorsqu’elle découvre qu’il est en possession d’une arme de police perdue, ayant bien l’intention de s’en servir. Elle prend alors le rôle de dernier lien à la réalité et à la raison, imposant un ultimatum à Vinz : l’arme, et donc le crime, ou bien le contrôle de soi et l’amour. La chanson que l’actrice interprète dans cette scène (qui fut d’ailleurs une des plus appréciées de la pièce entière par les élèves), la place en position d’ange sauveur, grâce à des câbles suspendant l’actrice dans les airs, et grâce à l’écran géant diffusant des images représentant son ascension dans les astres.

Le spectacle pourrait être caractérisé par une dimension plus grande, plus excessive que le film : l’appartement d’Astérix est plein de ses amis et partenaires, les embrouilles de rue sont à plus grande échelle et chaque émotion du film est décuplée grâce à d’habiles jeux d’éclairages de couleurs, allant du rouge au noir (blanc faible, plongeant la salle dans la pénombre) pour la colère ; la police prend également une image plus menaçante grâce à des projecteurs bleus et rouges qui tournent dans la salle, incluant ainsi le public dans l’urgence de la situation.

Les danses sont acrobatiques, souples et parfois chorégraphiées comme des combats : couplées aux musiques fortes et aux sons puissants, elles gagnent en crédibilité. Les acteurs sont quant à eux très convaincants, ont très bien saisi leur personnage et sont très bien dirigés, si bien qu’ils nous délivrent des performances touchantes et parfois frissonnantes.

La morale, le sujet abordé par l’histoire est limpide : à quel point le racisme et la discrimination sociale sont encore présents de nos jours, d’où le titre La Haine, jusqu’ici rien n’a changé. Les paroles des chansons, en nous racontant les perspectives des différents personnages ainsi que leurs ressentis, racontent l’ampleur de ces discriminations. La scène de reprise après l’entracte sur « Le Chant des Partisans » accompagnée par une chorégraphie des acteurs qui sont gazés par des grenades lacrymogènes met en scène une lutte vaine contre les forces de polices qui abusent parfois de leur force.

Mais le vrai sens de la pièce change par rapport au film lorsque la fin, au lieu de se conclure sur la mort de Vinz et le meurtre qu’Hubert commet sur le policier fautif, et la phrase « l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage », opte pour une fin non pas heureuse, ni mélancolique, mais ouvertement moralisatrice, avec un dernier rap d’Hubert sur la valeur de la vie, la définition de l’amour : le spectateur est invité à réfléchir sur ses vices et les méchancetés dont il a pu et peut faire preuve, pour tenter de s’améliorer et de toujours répandre l’amour autour de lui, et de ne plus juger autrui au premier abord.

Les commentaires de la pièce sont excellents. Définie comme « incroyable », « captivante », « magistrale » ou « effrénée » par certains élèves, la pièce a été très bien reçue par les spectateurs et par la presse : « Grande appréhension et soulagement énorme » – Libération. Certes, certains fans déplorent le changement de la légendaire scène du miroir, mais le genre de la comédie musicale a embelli l’histoire et l’a rendue plus immersive, en lui donnant substance et faisant souffler sur elle un vent de modernité.

Ce spectacle signe ainsi avec brio une belle leçon de vie, tout en offrant à ses spectateurs un moment inoubliable qui aura permis aux élèves de partager une très bonne soirée ainsi que de beaux souvenirs d’une nouvelle adaptation d’un chef-d’œuvre de cinéma français.

Jona Ollivon, étudiant en PCSI